J'ai rassemblé ici une sélection parmi les bribes de ce que j'ai pu écrire durant ces trois années. Même si je remarque immédiatement en eux quelque chose de bien naïf, je trouvais important de les partager, comme témoignage de mon parcours. Je vous ai épargné les poèmes dégoulinants d'adolescente meurtrie ou transie. Je trouve dans la plupart de ceux que j'ai choisis quelque chose d'encore très sombre : il faudra attendre quelques années avant d'apercevoir une éclaircie dans mes inspirations.
Le Cauchemar, Johann Heinrich Füssli (1781)
Elle me regardait de ses yeux luisants, prête à bondir à tout moment, accroupie au fond de son trou béant. Elle me torturait le ventre et me faisait crisper les os des mains. Face à elle je restais immobile, incapable de faire le moindre mouvement, semblable à une pierre. On entendait rien d'autre que mon souffle irrégulier. Le sien était lourd et se refermait sur moi. J'étais prise au piège, enfermée dans cette cage invisible, invincible. Je voulais tirer sur ses barreaux, les écarter et en sortir, crier, hurler, pleurer, mais je restais là, impuissante, lâche envers moi-même. J'avais cette boule dans la gorge, elle voulait sortir, elle voulait partir. Mais elle, de son trou, elle la retenait plus fermement, être sûre qu'elle ne s'échappe pas, que je ne m'échappe pas. Rien ne la ferait s'arrêter, aucune volonté n’émanait de moi. Figée, je ne réfléchissais plus, je ne pensais plus. Comme à chaque fois que je me retrouvais devant elle. Elle, la Peur.
Le réveil sonne : 9 heures. Cheveux en bataille, elle se lève. Traînant du pied jusqu'à la cuisine, allumant la radio machinalement : temps gris, infos du jour et variétés françaises. Pas terrible. Comme d'habitude. Elle prend une vieille tasse ébréchée dans le placard et verse du café de la veille. Une minute au micro-ondes. Sans sucre. Elle s'installe sur la chaise bancale et la fait grincer en se balançant sans vraiment faire attention à cet acte qu'elle reproduit pourtant chaque matin. La tête ailleurs, elle boit par petites gorgées le liquide amer. Comme d'habitude. Elle rince la tasse et la met à égoutter. Ses chaussons frottent sur le linoléum jusqu'à sa salle de bains trop éclairée. Eau glacée sur le visage. Dentifrice au goût âcre. Nœuds dans les cheveux. Cernes sous les yeux. Regard livide. Comme d'habitude. Elle enfile sa robe rouge, glisse ses pieds dans ses escarpins noirs. Fard à paupières et mascara. Chignon sauvage et pastille à la menthe. Elle prend sa veste en cuir avant de fermer la porte à clef et descend l'escalier d'un pas pressé. Sourire aux lèvres et yeux pétillants. Il est là. Dans le hall d'entrée. Salut. Salut. Bise matinale. On se promène ? D'accord. Sourire timide. Il ouvre son parapluie en lui tenant la porte pour la laisser passer. Ils marchent. La pluie s'abat sur les dalles dans un doux vacarme. La journée s'annonce merveilleuse.
Rouge et blanc, André Kohn (XXIe siècle)
Couverture de mon journal intime d'enfant
Il est peut-être temps de tout recommencer.
En quête d'écriture, pour vider mes pensées
Pouvoir glisser mes mots maladroits sur un bout de papier.
Trouvé par hasard, ce joli carnet
Qui rangeait mes secrets.
Je relis ces doux mots d'enfance,
Pleins de fautes d'orthographe et d'insouciance.
Pourtant, j'arrache les pages
Pour en déposer des plus sauvages.
Adieu journal intime.
Carnet, tu es désormais ma victime.
Je vais enfin pouvoir
Attacher mes idées noires
Les enchaîner à du papier décoré.
Les étaler, les écraser, les dépouiller,
Sur ce jaune pâle, ce bleu ciel, ces pâquerettes et ces oursons.
Que toutes tes pages gémissent à l'unisson,
En une ultime chanson.
Peut-être, ensuite, je les brûlerais
Pour encore tout effacer.
Elle avait les yeux vides, sans expression. Les traits de son visage ne laissaient deviner aucune émotion. Sa peau était pâle, et froide. Son corps était glacé, gelé à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur, jusqu'au bout de ses doigts. Il essayait de la réchauffer en passant son souffle sur sa peau, le long de sa nuque, entre ses seins, au creux de ses cuisses mais elle ne réagissait pas, pas même par un frisson. Il caressait ses cheveux dans l'espoir qu'elle lui adresse un sourire ou ne serait-ce qu'un regard en coin, rien. Enfin, il se résigna, embrassa les marques bleues, violettes et jaunes qui décoraient son cou et referma le sac en plastique sur son corps d'ange.
La femme de l'artiste, Louise Vernet, sur son lit de mort, Paul Delaroche (1846)
Ophélie, John Everett Millais (1851)
Je sais qu'un jour, je m'en irai.
Je prendrais une barque, ce n'est pas une blague.
Là-bas, je me laisserai bercer par ses tendres vagues.
Puis, je plongerai dans son eau délicate,
Éclaboussant mes joues écarlates.
Je laisserai s'éteindre ma lumière,
Dans les abîmes de la rivière.
Sa gorge voluptueuse
Sa joue rose
Ses doigts fins
Son regard doux
Ses lèvres délicates
Sa taille élancée
Son teint éclatant
Ses dents lumineuses
Son étreinte chaleureuse
Son étreinte écrasante
Ses dents brisées
Son teint lugubre
Sa taille squelettique
Ses lèvres sanglantes
Son regard perçant
Ses doigts glacés
Sa joue tombante
Sa gorge tranchée
Vanité, Auguste Toulmouche (1889)