L'année 2017 fut peu productive en nouvelles puisqu'à part les deux courts textes ci-dessous et la nouvelle "Dans les coulisses" pour le recueil "Murs Murs", je me suis surtout consacrée à l'écriture de mon roman. Édit : j'ai retrouvé une nouvelle que j'avais oubliée datant de cette année intitulée "La nuit allait bientôt tomber".
Devant la psyché, Berthe Morisot (1890)
Chaque matin, son réveil illuminait sa chambre à sept heures pile. Quelques secondes après, la lumière du téléphone se coupait pour laisser place à celle du lustre. Elle ouvrait la commode contre le mur du fond en plaquant ses cheveux en arrière et prenait les vêtements qu’elle avait préparés la veille. Elle retirait son pyjama parsemé d’étoiles grises et enfilait le jean ou la jupe, le t-shirt ou la robe. Carole s’absentait alors dans la salle de bain et en revenait quinze minutes plus tard, coiffée et maquillée. Elle mettait ensuite ses chaussures avec un biscuit dans la bouche et sortait avec son sac sur le dos pour atteindre l’arrêt de bus à quelques mètres de la maison familiale.
Quand celui-ci arrivait, elle s’y engouffrait et se calait dans un siège à l’écart des autres passagers en fourrant ses écouteurs dans ses oreilles. La jeune femme descendait à l’arrêt de sa faculté et passait sa journée en cours, se posait toujours sur le même banc avec ses amis pendant ses pauses, disparaissait de temps en temps pour être retrouvée au détour d’un couloir.
Le soir, elle reprenait le bus en sens inverse, souriait en faisant un geste de la main à ses amis qu’elle retrouvait le lendemain. Elle descendait au même arrêt, criait inlassablement « Je suis rentrée ! » en fermant la porte derrière elle à chaque fois qu’elle entrait dans la même maison. Carole réapparaissait dans sa chambre vers vingt-deux heures, les cheveux mouillés, une serviette autour de son corps nu et le visage encore rouge et humide. Elle retirait sa serviette à la lumière de sa lampe de chevet et enfilait à nouveau son pyjama.
D’habitude, elle se posait devant son bureau pour travailler, mais ce soir, elle entendit le buisson frémir derrière sa fenêtre entrouverte et croisa mon regard derrière la vitre.
Des gens fuient au milieu de l'ouragan Irma à Haïti, Andres Martinez Casares (2017)
Il avait vu changer autour de lui le quotidien qui avait défilé au fil de sa vie. C'était passé aux informations quelques jours auparavant et depuis, tout avait changé, radicalement. Au début, les conversations qu'il entendait ne l’inquiétaient pas vraiment, il prenait ça pour des rumeurs. Les vieilles femmes juraient qu'elles ne bougeraient pas d'un pouce : après tout, il y avait toutes leurs affaires, il était hors de question d'abandonner leurs meubles et leurs souvenirs et puis vous voyez les délinquants, ils n'attendent que ça, que tout le monde s'en aille pour nous voler et puis la jeunesse d'aujourd'hui et blablabla. Rien de bien intéressant. Les touristes ont déguerpi les premiers : ils n'avaient rien à perdre à part leurs vacances, mais bon, la vie c'était quand même plus important que de se prélasser au soleil pendant une semaine. Et puis les magasins ont commencé à fermer leurs portes petit à petit, en se barricadant, même s'ils savaient pertinemment qu'une tempête ne reculerait pas devant une pauvre porte fermée. Alors les habitants aussi se sont sauvés, abandonnant tristement les mamies récalcitrantes et matérialistes, pas si nombreuses qu'elles le prétendaient au début. Les voitures disparaissaient, les piétons devenaient mythes et seuls les détritus volaient encore de temps en temps, libres et heureux de ne plus avoir personne pour les ramasser. Il ne restait plus que les plus courageux, ou les plus imbéciles, tout dépendait du point de vue. Même les oiseaux et les autres animaux avaient senti le danger approcher, ils étaient certainement cachés dans des coins à l'abri, du moins pour l'instant. Et lui attendait, impuissant, seul et abandonné. Il était coincé là en attendant son sort, probablement la fin de sa belle vie remplie de commérages. Il n'en avait plus pour bien longtemps, c'était sûr. Alors Ted dit au revoir au seul lien qu'il n'avait jamais connu et se résigna à mourir, lui, le grand arbre de la Place Sunset.